Cet article n’a pas pour vocation de traiter de l’affaire elle-même mais bien de se focaliser sur les répercussions du traitement médiatique de cette affaire au regard du mouvement « Me too ».
Suite à l’affaire et à son traitement médiatique dans les médias et sur les réseaux sociaux, beaucoup de personnes parlent de « backlash » ou retour de bâton. La position de victime « imparfaite » présentée par Amber Heard et ses opposants semble décrédibiliser le mouvement. On la présente comme une menteuse et une manipulatrice, qui se serait servit de Me too à des fins personnelles. Prouvant par la même occasion que « les femmes » sont des manipulatrices et qu’on ne peut pas croire leur parole.
Certes, cette affaire est un coup dur pour le féminisme et pour le mouvement. Mais dans la réalité, elle vient surtout appuyer les revendications féministes, et prouver, une fois de plus, que l’égalité est loin d’être acquise. Autrement dit, Me too a peut-être perdu une bataille, mais pas la guerre.
Pour comprendre pourquoi Me too, et le féminisme ne vont pas disparaître malgré cette débâcle, il faut revenir à l’origine du féminisme.
Le féminisme est né bien avant Me too
Bien que l’invention du terme « féminisme » soit attribué à Alexandre Dumas en 1872, les mouvements de revendication de droit pour les femmes sont apparus bien avant.
On connait tou/tes Olympe de Gouge et sa fameuse Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne en 1791. Considérée comme une pionnière du féminisme, son exemple a été suivi dans de nombreux autres pays dans les décennies qui ont suivies.
Les organisations féministes puisent leur origine dans les mouvements anti-esclavagistes. Il ne fallait pas seulement reconnaître la liberté et la citoyenneté à tous les hommes, mais à tous les membres de l’humanité, sans différence de sexe. Les femmes qui étaient engagées dans ces mouvements anti-esclavagistes, ont commencé à ouvrir la voie aux idées féministes au sein de groupes politisés.
Plus tard, le développement du féminisme est étroitement lié au développement du socialisme. A chaque étape, les droits obtenus entrainent l’apparition de nouvelles revendications. Comme tout mouvement politique, le féminisme a fait face à des avancées et à des retours en arrière. Les droits ne sont jamais vraiment acquis définitivement, ni pour les travailleurs (prolétaires), ni pour les femmes.
Me too, un mouvement qui fait suite aux suffragettes et à la libération sexuelle
Tout mouvement politique avance par étape. Il en est de même pour le féminisme. Les revendications évoluent au fil du temps et des avancées obtenues.
Si les premières féministes se battaient pour la reconnaissance de leur citoyenneté, les féministes modernes se battent pour la reconnaissance des injustices auxquelles les femmes sont confrontées.
L’obtention de la citoyenneté, puis du droit de vote, du droit de divorce, de la contraception etc, a permis aux femmes de se libérer de l’autorité du mari ou du père et d’avoir une vie de plus en plus libre. Cependant, cette liberté a permis de faire ressortir d’autres travers de la société patriarcale, comme par exemple les inégalités salariales, ou la constante culpabilisation des victimes de violences.
La femme se libère de l’autorité du mari, mais s’aliène à d’autres formes d’oppressions et de normes qui la soumettent : ne pas sortir trop tard, ne pas s’habiller trop court, se méfier des étrangers, etc…
Me too, c’est la mise en avant de l’aliénation sexuelle des femmes modernes. C’est un cri pour réclamer plus de justice pour les femmes et plus d’éducation pour les hommes. En effet, la violence sexuelle et le sexisme perdurent car la société nous éduque selon des schémas sexistes et violents. Me too n’est donc pas une mode qui peut s’éteindre à tout moment, c’est un mouvement de revendications réel qui s’organise.
Me too fait peur
Pour comprendre pourquoi le mouvement Me too a déclenché autant de haine et d’opposition, il faut comprendre pourquoi il fragilise les bases du patriarcat.
Me too fait peur car ce n’est pas un mouvement localisé, restreint. Des millions de femmes, à travers le monde entier et de tous bords politiques se sont exprimées à travers Me too. Il ne s’agit donc plus seulement de quelques personnes isolées et éduquées qui tentent de faire bouger les lignes. On voit se mobiliser la moitié de la population mondiale, qui répète en coeur « Moi aussi ». Moi aussi j’ai été violé/e, moi aussi j’ai été forcé/e, moi aussi j’ai été violenté/e par un/des hommes. Avec le nombre vient la force et c’est terrifiant, car quelques personnes isolées peuvent difficilement remettre en cause l’ordre de la société. En revanche, si la moitié de la population se soulève, les choses peuvent changer.
Et l’idée que les choses changent c’est terrifiant. Premièrement parce que l’être humain n’aime pas le changement. Nous sommes naturellement résiliants et pouvons nous habituer au pire. Souvent la perspective de changement nous fait plus peur que l’idée de mieux vivre ne nous rassure.
Cette peur du changement est encore plus prégnante pour les dominants, qui sont incapables de se projeter dans un monde sans domination.
Le féminisme est profondément lié au pacifisme et au socialisme. A l’idée que tous les êtres humains sont égaux, sans distinctions. Se projeter dans un monde où tous les êtres humains sont égaux, c’est un exercice difficile pour des personne qui ont toujours vécu dans un système dominant/dominé. Cela explique en partie la fameuse idée que les féministes voudraient prendre le pouvoir sur les hommes et gouverner le monde. Comment espérer que des personnes qui sont incapables de voir le monde autrement que sous le prisme de la domination, puissent comprendre que le féminisme n’a pas pour but de dominer, mais de libérer ?
Rendre le monde féministe et égalitaire, ce n’est donc pas simplement donner plus de droits aux personnes à utérus. C’est changer en profondeur les fondements de la société telle que nous la connaissons. A travers toutes les formes d’organisation sociale que nous avons pu expérimenter en tant que sociétés européennes, nous avons toujours vécu dans un sytème dominant/dominé. La démocratie, telle que nous la connaissons, suit de fait, une organisation de domination. On ne peut pas organiser une société entière, des villes, des régions ou des pays sur le principe d’une démocratie absolue et parfaite. Chaque prise de décision crée des perdants et des gagnants et alimente ainsi le système de domination.
Jusqu’au sein du foyer, nous naissons et nous nous développons selon une organisation dominant/dominé : l’enfant est sous l’autorité de ses parents, puis sous l’autorité du/de la professeur, puis l’autorité du patron et du gouvernement (à travers la loi), etc.
La victoire du féminisme serait donc remettre en question cette organisation sociétale. Se serait la recherche d’une nouvelle organisation, plus juste et jusqu’alors, inconnue.
Me too a encore de belles années devant lui
Comme vous l’aurez compris, la bataille féministe, comme toute bataille politique, sera un chemin long et tortueux. Il aura fallut des siècles de revendications et d’essais avant d’obtenir le système démocratique actuel et la République que nous connaissons en France. Il faudra aussi du temps pour que le combat féministe gagne en force et obtienne raison.
Mais l’espoir est là et les générations futures pourront reconnaitre Me too comme un mouvement aussi important que les suffragettes. Me too est en train de faire l’Histoire et a encore de nombreuses années devant lui. Les féministes ont gagné en force et en nombre avec les années. Elles n’étaient qu’une poignée il y a quelques siècles, nous sommes maintenant des millions. Et j’ai bon espoir que dans le futur, nous seront des milliards.