Cet article est la traduction (de l’anglais vers le français) d’un article rédigé par mon amie Nataly sur Medium. Je publie cette traduction avec son accord.
A propos de l’autrice : Nataly est originaire du Venezuela. Elle a vécu quelques mois aux Etats-Unis pendant le confinement puis a émigré en Colombie, où elle vit depuis avec son mari. Pendant le confinement, elle a beaucoup écrit sur le sujet de la sexualité et à exploré de nombreux thèmes dans ce domaine. Elle a notamment écrit beaucoup d’article (en anglais) sur Medium pour le compte de Sexography.
Je vous invite à la lire si vous êtes anglophone : Naty Sin Taboo
L’avortement illégal de ma meilleure amie a marqué la fin de notre innocence
Quand elle m’a annoncé être enceinte, la seule chose dont j’étais sûre, c’était qu’à 16 ans, il était impossible pour elle qu’elle sache comment élever un enfant.
Puis, lorsqu’elle m’a dit qu’elle souhaitait avorter, bien que cela semblait raisonnable à l’époque, toutes les conséquences médicales et légales q’un avortement illégal pouvait apporter, allaient au-delà de notre compréhension.
Il m’a fallut du temps pour comprendre que notre amitié allait prendre un nouveau tournant. Soudainement je passais de « meilleure amie » à « complice ».
Nous étions perdues, seules et terrifiées à l’idée de faire notre premier saut dans la vie d’adulte. Qu’est-ce que j’étais supposée faire ? Comment pouvais-je l’aider ? Et comment pourrais-je tourner le dos à mon amie la plus chère ?
Oui, on peut aimer ses ami.es. Je le sais car je l’aimais profondément
Avoir un.e meilleur.e ami.e quand on est ado, c’est indispensable.
C’est la seule personne à qui on peut confier ses premiers secrets intimes, ceux qu’on gardera cachés toute sa vie. Et surtout, c’est la personne avec qui l’on peut partager une passion mutuelle pour le monde qui se dévoile à mesure qu’on grandit.
Les garçons, aller au centre commercial pour rencontrer des garçons1 , partager des magazines qui vous apprennent comment parler aux garçons ou comment s’habiller pour attirer leur attention.
Nous pouvions passer des semaines à parler du sourire qu’un beau garçon nous avait adressé au détour d’un magasin tout en cherchant à avoir l’air cool quand on achetait nos paquets de bonbons.
Nous étions badass. A 15 ans, nous fumions déjà des cigarettes, connaissions par coeur les rituels ésotériques du film « Dangereuses Alliances » et portions des jeans taille-basse qui nous faisaient nous sentir branchées, mais aussi effrayées qu’on puisse découvrir accidentellement nos culottes en coton princesses.
L’adolescence est une période étrange et absurde. On n’en a pas conscience sur le moment, mais elle définie une grande partie de notre vie d’adulte.
La curiosité nous lance dans une course pour découvrir tout ce que la vie peut offrir, mais nous apprend rapidement qu’on ne peut pas tout avoir à la fois.
Le sexe était partout autour de nous
Quand les nones2 ont décidé qu’il était temps de nous parler de contraception, la moitié de mes camarades de classe avait déjà une vie sexuelle active.
Au lieu de nous proposer une conversation honnête, les religieuses nous ont montré une vidéo à propos d’une fille qui a eu des relations sexuelles hors-mariage. L’entraînant dans une boucle infernale de consommation de drogues, souffrant du SIDA et terminant sa vie en se suicidant, alors que son bébé pleure près d’elle.
C’était tellement exagéré que nous étions toutes en train de rire en silence de la stupidité de cette vidéo.
Certaines de mes amies utilisaient encore des bananes pour s’entrainer à faire des fellations à leur copain, quand les plus expérimentées se moquaient ouvertement de ce que nous venions de voir. Je n’étais dans aucune de ces catégories.
Quoi qu’il en soit, j’étais familière avec tous les secrets (à l’époque) qu’on pensait être des méthodes sures pour traverser l’adolescence sans trop de difficultés.
- Boire du jus de citron tous les jours pendant une semaine pour arrêter son flux et pouvoir aller à la piscine.
- Boire du soda malté3 bouilli avec de la cannelle en guise de pilule du lendemain.
- Que la pilule est le meilleur moyen de contraception, à condition de la faire tenir entre ses genoux et de garder ses jambes serrées ainsi jusqu’au mariage.
Voici certaines des croyances en lesquelles la plupart d’entre-nous croyaient et qui nous donnaient l’impression que nous pouvions avoir un peu de contrôle sur ce que nous faisions.
Ce n’était donc pas surprenant que chaque année, une de mes camarades disparaisse étrangement pendant quelques temps.
Les adultes disaient qu’elles souffraient de la varicelle ou d’une complication médicale. Les personnes plus traditionalistes disaient qu’elles avaient envoyé leur fille rendre visite à de la famille lointaine.
Mais au fond, tout le monde savait ce qu’il se passait : leur ventre s’arrondissait, elles pleuraient pendant la pause et portaient des pulls amples, même pendant les journées d’été très chaudes. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre ce qu’il se tramait.
Et la pilule du lendemain ?
Son efficacité dépend du fait de comprendre ce qu’est une urgence sexuelle et d’avoir des connaissances sur le corps humain. Comme vous pouvez le comprendre, ce n’était pas notre cas.
Libération sexuelle, mon cul !
Les ados ignorent comment fonctionne le plaisir et comment faire atteindre l’orgasme à sa.on partenaire.
Chacun.e est libre de coucher avec qui iel veut. Mais personne ne vous dira que vous serez puni.e socialement après coup.
Même lorsque vous atteignez la trentaine, les gens pensent encore que vous êtes une « traînée » si vous avez trop d’enfants, ou au contraire, si vous n’en avez pas.
Imaginez donc à quel point il faut être courageux.se quand on est ado, pour se rendre à la pharmacie du coin et acheter une pilule du lendemain ! Malheureusement, cela vous donne l’impression de vous balader avec « Je suis une traîné.e » tatoué sur le front.
Je dirais même que c’est pire d’aller la chercher dans un planning familial car les infirmières et docteurs ferment la porte derrière vous et vous sermonnent pour vous pousser à prendre un moyen de contraception.
Mais voilà un autre problème ! Puisque les moyens de contraception peuvent causer des effets secondaires, ils deviendront une nouvelle chose que vous devrez cacher à votre entourage.
L’avortement clandestin n’est pas une preuve de manque de courage
Cette partie est plus sombre et pourrait réveiller un traumatisme chez certain.e. Mais c’est la triste réalité.
Avant de continuer, j’aimerai clarifier quelques points. Ce qui suit n’est pas un manuel, mais une compilation des instructions que mes ami.es ont entendues de la part d’autres adolescent.es, avant de prendre la décision d’avorter illégalement :
- Si tu n’achètes pas de Misoprosol (pilule abortive) au marché noir rapidement, tu devras aller dans une clinique clandestine et crois-moi, il vaut mieux éviter. C’est très cher, tu ne peux pas cacher les cicatrices et le processus de guérison peut prendre des semaines.
- Tu pourrais mourir dans la clinique.
- Prends tous tes cadeaux des 15 ans4 et vends les chez un prêteur sur gage. C’est ce que ma cousine a fait. Et n’oublie pas de récupérer autant d’argent que possible parce que tu en auras besoin plus tard.
- Le seul problème quand tu prends une pilule abortive à la maison, c’est qu’une fois que le foetus est sorti, il faudra quand même que tu te rendes à l’hopital pour qu’ils aspirent le placenta5
- C’est possible que l’hôpital te dénonce à la police. Donc il faudra que tu utilises l’argent qu’il te reste pour payer quelqu’un afin qui falsifie les documents et modifie la cause de ta venue.
- Ne le fais jamais au-dessus des toilettes. Une amie l’a fait et elle m’a dit qu’elle a vu le foetus dans l’eau avant qu’elle ne tire la chasse.
- L’idéal c’est d’utiliser un saut avec un sac en plastique. Comme ça tu pourras l’enterrer dans ton jardin, lui donner des funérailles et éviter de boucher les toilettes.
- Quand le médicament commence à faire effet, tu vas sentir toutes les crampes que tu n’as pas eu pendant que tu étais enceinte venir d’un seul coup. Il se peut que tu tournes de l’oeil donc essayes de ne pas rester seule.
Comme c’était attendu, son petit-copain l’a quittée, prétendant que le bébé n’était pas de lui. Il a quand même payé pour la pilule.
Personne ne peut expérimenter la solitude comme une adolescente enceinte.
J’ai fait ce que n’importe quelle gamine ferait
Les chances que les choses se passent mal, voir qu’elles soient mortelles, sont devenues trop angoissantes pour moi.
« Dans quel hôpital vas-tu aller pour le curetage ? Si je suis avec toi le jour-j, est-ce que cela va me rendre complice de meurtr ?. » Je me posais beaucoup de questions.
« Mes parents me tueraient s’ils l’apprenaient ! Tu pourrais mourir aussi ! Tu devrais le dire à ta mère. » Ce sont des choses que je lui ai dit avant de m’enfuir, la laissant pleurer seule devant sa maison.
Une fois qu’elle a trouvé un pharmacien qui a accepté de lui vendre la pilule abortive clandestinement, je me suis sauvée chez mes grand-parents, qui vivaient dans une autre région, afin de m’y « cacher » pendant un mois.
Quand elle avait le plus besoin de moi, après 2 mois de doutes, j’ai laissé ma meilleure amie se débrouiller toute seule dans un des moments les plus durs de sa vie.
J’ai ignoré ses appels
Elle a réussi à se débrouiller. Elle a survécu. Mais finalement, 2 jours après avoir pris le médicament, elle a du demander de l’aide à l’une de ses tantes.
Elle sont allées à l’hôpital et ont passé une semaine ensemble dans la « maison de vacances ».
Même si l’on dit que l’avortement médicamenteux ne laisse pas de cicatrices, émotionnellement, cela vous transforme.
Quinze ans plus tard, alors qu’elle ne parvenait pas à tomber enceinte malgré 2 ans d’essais, la seule chose à laquelle nous pouvions penser était à ce jour où j’avais échoué à me tenir à ses côtés.
Quand je pense à quel point j’étais jalouse de voir les garçons n’avoir d’yeux que pour elle, cela me rend triste de penser à quel point j’avais de la chance de mettre fermée à l’idée de flirter à cause de mes complexes physiques.
Pourquoi je partage tout ça ?
Alors que le Roe Vs. Wade a été annulé, il est important de garder la conversation ouverte à propos de la sexualité et de la contraception avec nos jeunes.
Comme Frederica Mathewes-Green l’explique très bien :
“Aucune femme ne veut avorter comme elle voudrait un cône glacé ou une Porsche. Elle veut avorter, au même titre qu’un animal prisonnier veut se ronger la patte pour se libérer.”
Il semble que nous soyons maintenant piégés dans un engrenage légal dont les conséquences ne sont pas encore visibles. Non seulement, cela entraîne déjà des pénuries de pilules du lendemain dans certains états (aux USAs), mais cela va aussi augmenter le risque de mortalité dans le pays.6
Alors que les conversations autour de « Mon corps, mon choix » se répandent dans de nombreux pays d’Amérique Latine, ce retour en arrière dépeint un futur incertain pour les droits reproductifs dans le monde.
Les nombres parlent d’eux-mêmes
68 000 personnes meurent déjà chaque années suite à un avortement illégal.
Annuellement, 42 millions de personnes choisissent de mettre fin à leur grossesse.
Seulement la moitié peut se rendre dans une clinique possédant des normes sanitaires et du personnal professionnel qui puisse les accompagner pendant leur processus de décision.
Il est important de rappeler que presque 40% des femmes sont victimes de stealthing7 et l’idée de pouvoir prouver systématiquement lorsqu’on a été victime d’un viol est une chimère absolue.
A partir de maintenant, comme elles ont perdu le droit de décider librement, les personnes sexisées américaines vont rejoindre les rangs de ces 50% de personnes qui pratiquent l’avortement clandestin.
Et beaucoup d’entre elles n’auront ni un.e ami.e peu courageuse, ni une tante progressiste pour les soutenir.
- Au Vénézuela, les sorties au centre commercial sont très fréquentes, comme aux USA, les jeunes vont passer leur samedi ou dimanche au centre commercial pour se divertir. ↩︎
- Au Vénézuela, comme dans beaucoup de pays d’Amérique du Sud, la religion est très présente dans la vie quotidienne. Beaucoup d’écoles sont dirigées par des organisations religieuses et dispensent de cours d’éducation sexuelle qui consiste à expliquer aux enfants de ne pas avoir de relations sexuelles. ↩︎
- Soda gazeux à base de malt, populaire au Vénézuela et en Colombie. ↩︎
- En Colombie et au Vénézuela, on célèbre traditionnellement lorsqu’une jeune fille atteint ses 15 ans. Sa famille organise une grande fête, elle s’habille avec des robes de princesse, fait un shooting photos et elle reçoit de nombreux cadeaux. ↩︎
- Pour rappel, un avortement médicamenteux, avant 10 semaines d’aménorrhées ne nécessite pas d’intervention médicale. ↩︎
- Pour rappel, moins d’un mois après l’annulation de Row vs Wade, on reportait déjà en France la pénurie de pilule abortive, car le seul fabricant, américain, avait arrêté de la produire et de l’exporter. ↩︎
- Retrait du préservatif sans le consentement du/de la partenaire ↩︎